Intelligence artificielle, automatisation et l’avenir des soins infirmiers

Imaginez : un patient arrive aux urgences et s’assied devant une « infirmière de triage », un ordinateur qui utilise des algorithmes avancés pour poser des questions en fonction des réponses du patient. Un robot lui fait une prise de sang. Un autre vérifie en temps réel les emplois du temps du personnel infirmier et les lits disponibles pour décider s’il peut être admis. « Suivez-moi », dit le robot.

Le scénario peut paraître exagéré, mais la nouvelle génération de systèmes informatiques a déjà transformé divers secteurs, du secteur manufacturier aux finances, en passant par le commerce de détail. Et des projets pilotes à travers le monde donnent à penser que les soins infirmiers ne seront pas épargnés par la révolution robotique.

L’automne dernier, un robot doté d’intelligence artificielle (IA) a fait son entrée dans une résidence pour personnes âgées de Toronto pour interagir avec les résidents et surveiller les signes de démence. Des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) testent des aides à la décision robotisées qui programment les tâches du personnel infirmier et affectent les chambres aux patients. Des entreprises japonaises mettent au point des robots pouvant aider les patients à se lever et même les soulever et les transférer de leur lit à la salle de bains.

Selon Richard Booth, professeur adjoint à l’école de sciences infirmières Arthur Labatt Family de London (Ont.), si le personnel infirmier ne commence pas à comprendre cette technologie et à participer à son élaboration et à son déploiement, la profession et l’intérêt supérieur des patients en pâtiront.

« Si nous ne gérons pas l’arrivée de cette technologie, quelqu’un d’autre le fera à notre place, affirme M. Booth, qui a commencé sa carrière d’infirmier en santé mentale. Nous devons planifier notre propre obsolescence dans une certaine mesure, car certaines tâches et activités prévisibles et pas très complexes seront automatisées. »

À son avis, ce devrait être au personnel infirmier de décider quels aspects de ses rôles peuvent – ou ne peuvent pas – être pris en charge par la technologie. En supervisant l’introduction de l’IA et des technologies automatisées, il peut veiller à ce que les aspects holistiques des soins perdurent dans les nouveaux systèmes. « Nous devons confier des rôles infirmiers à la technologie de façon délibérée pour nous assurer que les besoins de nos patients seront respectés. » Ces rôles pourraient inclure certains éléments de la gestion de l’information et des tâches physiques manuelles, comme celles des brancardiers et des livreurs de fournitures.

Le personnel infirmier gagnera aussi à participer davantage au développement technologique. Selon M. Booth, ceux qui adopteront la technologie auront plus de chance d’avancement. D’après ce qu’il a vu dans les secteurs qui ont déjà connu une automatisation intensive (services de restauration et secteur manufacturier, par exemple), il prédit que beaucoup d’infirmières et infirmiers finiront par devenir des délégateurs de haut niveau. Superviser les soins aux patients et coordonner d’autres employés et technologies pour assurer la qualité des soins seront les nouveaux rôles du personnel infirmier.

José Côté est professeure à la faculté de sciences infirmières de l’Université de Montréal et titulaire de la chaire de recherche sur les nouvelles pratiques de soins infirmiers. Elle a supervisé la création, le déploiement et l’évaluation d’une plateforme de soins infirmiers virtuels appelée TAVIE (Traitement, assistance virtuelle infirmière et enseignement).

TAVIE utilise des enregistrements vidéo d’infirmiers pour apprendre aux patients à gérer leurs problèmes de santé et à modifier leurs comportements. Les patients sont invités à se connecter au système sur un ordinateur portable. Au fur et à mesure qu’ils répondent à des questions à choix multiples, TAVIE utilise un algorithme pour décider laquelle des quelque mille vidéos leur montrer.

Des évaluations indiquent que les messages personnalisés et les expressions faciales empathiques des infirmières virtuelles touchent les patients, mieux que n’y parviennent certains sites Web établis de conseils en santé. « Les patients ont le sentiment que l’infirmière virtuelle est réelle », explique Mme Côté.

Ces interventions personnalisées en ligne s’avèrent prometteuses pour améliorer l’observance des prescriptions chez les patients séropositifs. TAVIE en santé est en cours d’évaluation pour voir à quel point le programme aide ces patients à améliorer leurs comportements au quotidien (activité physique, renoncement au tabac et alimentation saine).

La technologie de Mme Côté remplit un rôle infirmier distinct en renforçant l’autonomie des patients au moyen de stratégies adaptées à leur contexte personnel. « L’idée n’est pas de juste dire à une personne séropositive “Prenez votre médicament, il est bon pour ceci et cela”, explique-t-elle. Il s’agit davantage de façons de gérer les situations où il est difficile de prendre ses médicaments, quand on sort boire et danser avec des amis, par exemple. »

D’autres applications TAVIE ont été conçues pour les personnes greffées, les patients opérés du cœur, les diabétiques et les patientes atteintes d’un cancer gynécologique.

Mme Côté se fait plus rassurante que M. Booth quand elle parle technologie. Elle n’y voit pas une menace pour le rôle infirmier. « Les gens pensent que comme nous avons un téléphone intelligent, nous pouvons tout faire… mais c’est faux! », dit-elle en riant. Ses recherches montrent que les interventions de personnel infirmier virtuel sont rarement productives si elles ne sont pas intégrées aux soins traditionnels. (Il suffit de penser aux milliers d’applications pour la santé utilisées une ou deux fois, ou jamais même téléchargées).

Les patients sont plus susceptibles de finir les séances virtuelles de TAVIE quand le personnel infirmier les encourage à utiliser la technologie lors des visites de contrôle et quand les encouragements virtuels s’appuient sur des conseils reçus de vraies infirmières. TAVIE complète les soins infirmiers, sans les remplacer. « L’application peut aider les infirmières et infirmiers à tisser des liens plus solides avec le patient, car leur relation dépasse alors l’hôpital, de beaucoup. » À l’avenir, les systèmes en réseaux à domicile et à l’hôpital signifieront que le personnel infirmier pourra recevoir plus souvent les commentaires des patients et leur donner des conseils plus immédiats et plus ciblés.

Le personnel infirmier qui participe à l’intégration de la technologie dans les protocoles de soins conventionnels ou qui introduit de nouvelles technologies devra garder à l’esprit la théorie sociale cognitive telle qu’elle s’applique à l’adoption de la technologie. M. Booth résume ainsi la théorie : « L’utilisation d’une technologie est plus probable quand elle apporte quelque chose et est facile d’emploi. » Par conséquent, il est improbable que le personnel infirmier ou les patients adoptent la technologie si elle ne ressemble pas, à l’œil et à l’usage, aux gadgets de notre quotidien, comme les téléphones intelligents et les appareils prêt-à-porter. Elle doit également être perçue comme évidemment et immédiatement fonctionnelle.

La technologie révolutionne également la formation. Ryan Chan, infirmier en soins d’urgence et étudiant à la maîtrise, travaille avec M. Booth et son équipe de recherche à l’élaboration d’un jeu informatique en ligne pour enseigner l’administration de médicaments par ordinateur aux étudiants en sciences infirmières. Le jeu présentera divers scénarios. Dans l’un de ces scénarios, un homme aura fait une crise cardiaque, et les étudiants devront faire plusieurs contrôles pour s’assurer que chacun des médicaments qu’ils lui donnent convient. S’ils font une erreur, s’ils oublient par exemple de vérifier si un médicament est administré au bon moment, le jeu le leur signalera et fournira une rétroaction immédiate.

M. Chan explique que les étudiants s’entraînent déjà sur un système électronique, mais celui-ci se trouve à l’école et les étudiants n’y ont accès que pendant des heures de cours précises. Le jeu leur donnera la possibilité d’apprendre où et quand ils préfèrent.

Le jeu comporte un système de progression séquentiel, par étapes, qui motivera les étudiants, espère-t-il. Ils ne pourront passer à des scénarios plus complets que s’ils réussissent les scénarios précédents.

« La génération actuelle se sert de la technologie dans de nombreux domaines de la vie, souligne M. Chan. Nous espérons qu’en ajoutant ces éléments de jeu au contexte pédagogique, nous renforcerons chez les étudiants le désir d’apprendre dans un contexte où l’on se sert de la technologie. »

M. Booth pense qu’il est essentiel d’intégrer des technologies de pointe à l’éducation en sciences infirmières, « de faire passer l’éducation de 1.0 à 2.0 ». Mais pour préparer la relève, il faut aussi l’amener à penser la technologie à un niveau abstrait. Les infirmières et infirmiers devraient pousser la réflexion : à quoi ressemblera chacune de leurs tâches dans 20 ans? Penser de façon progressiste est capital. « Notre idée des soins infirmiers, ces 150 dernières années, a reposé sur l’idée que leur prestation se fait en personne. Cette idée doit changer maintenant. »Wendy Glauser

Wendy Glauser est journaliste indépendante à Toronto.

Source: Infirmière Canadienne

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